Marc-André Selosse nous parle du sol

Majeure partie de la biodiversité terrestre, je gouverne les cycles de la matière, je suis source de l’alimentation et je joue avec l’effet de serre, qui suis-je ?

Le sol.

Plus que le support de nos pas ou le support des plantes : un lieu de vie. Un gramme de sol héberge plus d’un milliard de bactéries, de plusieurs milliers d’espèces différentes ; il compte aussi 1 à 100 milliers d’espèces de champignons... Les bactéries des sols de France comptent au moins 115 000 espèces, à comparer à 570 oiseaux, 6500 plantes ou 189 mammifères ! Avec 50% de la biomasse vivante, 23% des espèces vivantes connues et 75% de la matière organique terrestre, le sol EST l’écosystème terrestre : ce que nous voyons en surface n’en est qu’un diverticule !

La vie crée le sol : elle dégrade la matière organique pour en recycler les éléments ; elle attaque la roche pour libérer la fertilité ; elle exploite l’atmosphère dont l’azote gazeux est notamment transformé par des bactéries en azote assimilable. La vie brasse le sol, entre mouvements animaux et remontées d’éléments prélevés en profondeur par les plantes. Bien plus : 90% des plantes ne survivent pas sans les champignons dits « mycorhiziens » qui, d’un côté, cherchent des ressources dans le sol et, d’un autre, colonisent les racines auxquelles ils prodiguent les minéraux collectés dans le sol. Longtemps vu comme une interface entre la géosphère et
l’atmosphère, le sol est surtout un écosystème et un processus vivant.
Les sols font le monde. Leur fertilité emportée par les eaux fertilise les océans, expliquant pourquoi les eaux proches des continents sont les plus productives (même la pêche vient des sols !). Les organismes des sols émettent des gaz à effet de serre : CO2 issu de la respiration de sols aérés, méthane et protoxyde d’azote issus des sols anoxiques réchauffent la planète...
Inversement, des sols raisonnablement aérés ne dégradent que lentement la matière organique : une solution simple contre l’effet de serre est d’enfouir nos déchets organiques dans les sols !

Augmenter de 0,4 % par an la teneur en matière organique dans les sols stockerait l’équivalent de nos émissions annuelles de CO2 !
Tristement, l’homme n’y a pas compris cela. Les aménagements et l’urbanisation recouvrent les sols d’un département tous les 7 à 10 ans en France. La salinisation menace 30% des sols agricoles, car l’irrigation amène des sels qui s’accumulent. Le labour ramène la fertilité en surface, aère le sol et désherbe nos champs mais... sa pratique inconsidérée (récurrente et profonde), nuit au long terme. En revanche, pratiqués d’automne et sans couverts végétaux, ils dopent l’érosion hivernale des sols nus, à la structure explosée, où la matière organique, oxydée, ne fait plus la cohésion : nos sols labourés s’érodent en moyenne dix fois plus qu’avant la charrue.

Les sols s’endommagent à leur rythme, un rythme lent. Il faut 100 à mille ans pour faire un sol... Nous réalisons donc mal qu’ils sont un patrimoine qu’on ne peut remplacer. Nous héritons les sols de nos ancêtres et nous les devons à nos enfants ; nous n’avons le devoir moral de n’en utiliser que les intérêts seulement : un usufruit.

Vision catastrophiste et moraliste ? Non, point du tout, car justement le livre qui suit offre des solutions et des actions : la promesse que remplit cet ouvrage est de relier reconnaissance de la logique de vie du sol et pratique de terrain. Nous sommes obligés, dans nos aménagements, de toucher aux sols et de les modifier, il en va de la nutrition de l’humanité. Il nous faut donc des solutions pratiques et réalistes pour le faire en respectant la dynamique propre des sols et leur durabilité, pour les rendre plus fertiles et résilients.

Ensemble, agriculteurs, agronomes et citoyens, prenons en main le sol et son écologie comme des leviers pour soulever l’avenir. Souvenons-nous de toujours nous questionner, car nulle pratique n’est dénuée d’effet secondaire, nul impératif ne vaut pour toujours sans l’épreuve des faits : pilotons ensemble, attentifs à chaque instant, l’avenir de nos sols. Et commençons par lire les lignes qui suivent...